Indiemusic (FR)
Gareth Dickson est un spectre, une illusion, un songe. Après trois albums studio, dans lesquels il tendait à désintégrer ses habitudes de musiciens, « Orwell Court » se positionne aujourd’hui comme le témoin lumineux de sa transformation. Les guitares et sa voix ne font plus qu’un, miscibles et indicibles, tendant vers des sonorités extraterrestres. Avant de comprendre et d’apprécier toute la portée de l’album, nous devrons percer nos zones de confort, au-delà de nos habitudes superficielles, pour ainsi pouvoir se balancer dans l’élasticité des cordes et l’écho des phantasmes.
L’expérimentation des berceuses. C’est ainsi que nous pouvons traduire la ligne directrice d’« Orwell Court », mystérieuse et ténébreuse, qui surprend dès les premières secondes par sa complexité, son étirement des sons comme si ces derniers se désagrégeaient dans une coulée fantastique. C’est dans cette eau profonde que Gareth Dickson s’essaient à la plongée sensorielle depuis trois albums. Arrivé à ce quatrième seuil, nous ne pouvons que sentir cette pression abyssale, étudiée et expérimentale, véritable Atlantide sonore que l’Écossais semble avoir atteint. « Pour moi, l’expérimentation et l’exploration dans la musique sont absolument essentielles », nous déclare Gareth. « Dans une certaine mesure, je dois sentir le Saint Graal dans la musique pour ainsi trouver de nouveaux moyens pour travailler musicalement. Naturellement, rien n’est vraiment nouveau, mais il y a des manières de combiner des idées existantes de façon peu commune. J’ai toujours été intéressé par l’essai d’émuler certains bruits avec la musique ambiante et électronique en utilisant la guitare et les effets analogiques. »
En ce sens, Gareth côtoie certains artistes des plus novateurs comme Max Richter ou Julianna Barwick, cette classe musicale où le son ne devient plus un support de divertissement mais d’étude, de dépassement de soi, d’ouverture presque métaphysique. Comme si, de façon quasi organique, « Orwell Court » se révélait être l’enfant caché de Nick Drake et Brian Eno ; bambin imaginaire éperdument solitaire, encore sous le joug d’une méditation musicale : « Mes héros musicaux sont des musiciens solos. J’aime la vieille musique blues du Delta comme Robert Johnson et Skip James. J’aime également beaucoup de solo de piano en musiques classiques : Schubert, Beethoven, Bach, etc. Le pianiste canadien Glenn Gould est l’un de mes artistes favoris. J’aime les limites que le fait de jouer en solo apporte, je trouve que cela me force à être plus créatif avec les mélodies et les textes. Je travaille ma voix avec celle de l’auteur-interprète Vashti Bunyan. Il y a quelques autres additions et overdubs ici et là mais il est principalement question de guitare et de voix. L’écriture de l’album provient en grande partie d’improvisations avec la guitare que j’essaie d’assembler pour former des morceaux. Les textes sont toujours écrits en aval, après eu une idée musicale précise, une humeur ou un thème. »
Des faubourgs de Glasgow dans lesquels il a grandi, Gareth Dickson établit avec « Orwell Court » une missive réactionnaire à contre-courant de la cadence folle de notre époque. C’est une quête du sens et de l’idéal, une forme de classicisme moderne qui mêle incertitude et ambiguïté. D’ailleurs, nous pouvons même nous demander où s’arrête l’album et où il commence véritablement. Un long fil sur lequel Gareth disparaît à son insu, dévoré par l’immensité de sa musique. Mais il reste tout de même conscient de ce qu’il créé, maître intelligible de son art, prêt à renverser la donne à chaque instant. « Mes précédents albums étaient plus « confessionnels » dans le sens où ils étaient sujets des incidents et des idées qui m’ont formé jusqu’à présent. Cet album traite davantage du monde extérieur, la société, l’État, la puissance, les duperies, les mythes. Cependant, j’écris toujours d’un point de vue personnel. En écoutant l’album, les gens se feront leur propre idée et prendront ce qu’il veulent de lui. » Après l’introspection, l’ouverture sur les autres. Une ouverture lucide et peut-être moins douloureuse, bien que nous nous sentons tous concernés par ce qui possède le peuple et ses institutions. C’est en ce sens, et en toute modestie, que Gareth et son cercle d’initiés essaient mains serrées d’exorciser le monde.